Atelier d’artiste
Fondements d’un savoir oublié
J’avais à peine 11 ans. Je descendais les escaliers qui me conduisaient directement dans l’atelier d’artiste. Edmund me permettait de rester à côté de lui, à condition de ne rien dire. « Pas question de parler », m’a-t-il dit, « tu regardes et tu ne bouges pas. » Jamais je n’oublierai le privilège qui m’a été offert de venir me percher sur ce tabouret à côté du chevalet en bois dégoulinant de peinture à l’huile. C’est ainsi qu’il s’est construit une complicité toute particulière entre nous, je me dépêchais de rentrer de l’école et me précipitais dans son atelier. Edmund vivait chez nous depuis un certain temps, mes parents lui avaient alloué un espace au rez-de-chaussée de notre grande maison située dans la banlieue parisienne. L’atelier était spacieux et éclairé par une grande baie vitrée. Cette pièce donnait directement sur un jardin joliment aménagé. La lumière du jour était idéale pour un peintre.
Le silence qui s’installait entre nous autorisait d’être chacun dans notre monde. Cela me permettait d’observer la construction de l’œuvre tout en savourant les odeurs d’huile de lin et de térébenthine. J’étais fascinée par le geste sûr et précis de mon ami, l’intensité du moindre petit mouvement qui ressemblait à une écriture ou une danse, parfois vif, parfois au ralenti. J’aimais sa façon de mélanger les couleurs, la palette devenait un vrai champ de bataille. Les tubes à moitié vidés de leur matière pâteuse prenaient des formes étranges. La spatule malaxait, se tortillait et la peinture comme par miracle se changeait en une nouvelle couleur. Mes yeux éblouis ne se lassaient pas d’apprendre. Alleyn était un artiste polyvalent, il a eu plusieurs périodes. Personnellement c’est pendant sa période abstraite que je l’ai connu vers la fin des années 50.
À l’époque où il habitait chez nous, il parlait beaucoup de son projet de création avec mon père, je ne comprenais pas toujours ce qu’ils disaient. Ce dont je me souviens particulièrement, c’est du moment passionné où Edmund remontait dans notre salle à manger pour prendre son petit verre de calvados au début de la soirée. Il parlait des expériences qu’il venait de vivre dans son atelier. J’ai le vague souvenir qu’il s’agissait d’ombre et de lumière, de « portes »… du vide et du plein… Voilà tout ce que je peux en dire aujourd’hui. C’était des concepts très étranges pour une enfant de 11 ans ! Malgré tout je les écoutais avec une grande curiosité.
Mon père également a été très influent, car il peignait depuis toujours. Il dessinait aussi avec beaucoup d’habileté et pourtant il était entièrement autodidacte. Comme beaucoup d’artistes de son époque, il se disait peintre du dimanche, car il gagnait sa vie comme ingénieur. Même s’il m’avait beaucoup encouragée à dessiner et à peindre quand j’étais enfant, ce n’est pas pour autant dans cette voie que je me suis engagée. Je suis devenue thérapeute. Ce n’était pas le fait d’avoir essayé l’art qui m’avait fait défaut, mais chaque fois que mon aspiration regardait la possibilité de devenir une artiste, une force plus grande encore me poussait vers des études de sage-femme dans un premier temps, puis plus tard en homéopathie. C’est autour de quarante-huit ans que j’ai commencé à faire un rêve récurrent qui ne m’avait pas trop interpellée au début, mais au fur et à mesure que ce songe revenait, il devenait de plus en plus précis. La plupart du temps je me retrouvais dans les années soixante avec Edmund, mais au lieu d’avoir 11 ans, j’en avais 30, l’âge qu’il avait dans le temps de nos rencontres. Nous sommes dans son atelier. Étonnamment, c’était toujours le même endroit dans chaque rêve, qui était situé en haut d’un immeuble qui avait l’air d’être dans une grande ville européenne. Je ne percevais rien d’autre qu’un immense espace un peu vieillot, avec une grande verrière donnant sur une terrasse. Nous regardions ses tableaux assis sur un vieux divan. La relation chaleureuse que j’entretenais avec Edmund dans ce lieu, où nous étions des égaux, n’existait en réalité que dans les brumes de ces songes. Dans la vie, quand j’étais petite, mon lien avec lui ressemblait plutôt à un pacte avec un grand frère qu’à une réelle complicité.
Aujourd’hui, j’ai encore un souvenir très net des œuvres d’Edmund Alleyn1 et j’ai une grande admiration pour son travail. Mais les tableaux dans mes rêves ne ressemblaient en rien à la peinture que j’avais connue de lui des années plus tôt. Il me semblait que je n’avais jamais vu encore des œuvres semblables, elles étaient étranges et magistrales. Nous regardions les tableaux et j’avais l’impression qu’ils se mettaient à vivre au travers notre regard. C’est particulièrement difficile de décrire ce qui se passait. Les premières fois que j’ai fait ce rêve, j’ai pensé que cela avait rapport avec le bonheur que j’avais eu dans mon enfance d’être à côté d’Edmund quand il peignait. (Il faut dire que les rêves m’interpellaient depuis de nombreuses années. À l’époque, cela faisait dix ans que je suivais régulièrement les stages et les conférences du « le Cercle Jung » à Montréal.) Étant donné que l’analyse des rêves était pour moi une chose familière, j’ai tenté de les analyser mais sans grand résultat. Ces songes revenaient et revenaient encore malgré mes efforts pour les comprendre, presque toujours avec les mêmes images, les mêmes perceptions. Sur le moment, le bien-être qu’ils provoquaient me suffisait largement. Cela m’a demandé du temps et de l’introspection pour comprendre qu’il ne s’agissait pas seulement du souvenir d’une belle expérience de mon passé, mais d’un appel de l’âme. J’ai commencé à considérer ces rêves comme des alliés, sans penser pour autant qu’il serait possible que je puisse reproduire ces œuvres oniriques, je me suis prise à faire confiance au seul désir de créer qui se révélait progressivement. Alors un jour j’ai décidé d’acheter du matériel pour faire un tableau. Je me suis retrouvée chez moi avec une immense toile blanche, et courageusement j’ai fait ma première peinture à l’huile. Je ne peux même pas dire que je me suis amusée à la faire, mais je suis allée le plus loin que je pouvais dans l’exploration de ce médium. A vrai dire ce fut une vraie catastrophe…! C’était laid, creux et vide et de plus, même pas décoratif! J’ai pris quelques semaines pour me remettre de ce désastre! Prise entre ces œuvres idéales oniriques et la réalité des œuvres qui s’incarnent dans la matière, l’impression que j’éprouvais était un peu comme si je devais réapprendre à marcher après une longue maladie.
Puis un matin, je me suis installée avec ma tasse de café dans ma cuisine de la rue de Laverdure à Montréal. Les rayons chauds du soleil me caressaient la peau, emplissaient l’espace d’un éclairage doré. Je me sentais confortable ce jour-là pour regarder sans trop de jugement ce que j’avais peint quelques semaines auparavant. J’étais décidée à remonter sur mon cheval de bataille, comme la digne sagittaire que je suis. C’est là que je réalisai que je n’avais quand même pas tout raté de mon essai : prise dans l’action, je n’avais même pas réfléchi deux minutes sur comment on pouvait allier des couleurs pour en obtenir une autre, et pourtant les mélanges s’étaient faits tout seuls. Je fus étonnée par cette découverte, et de fil en aiguille plongée dans mes réflexions, j’ai fini par me convaincre que j’en savais quand même plus sur la peinture que je pensais. J’ai alors décidé que ça valait la peine de continuer à chercher.
Les préoccupations du passage entre l’invisible et le visible
J’ai peur que les mots n’appartiennent qu’au domaine du visible et ne traduisent que partiellement mon expérience. Mais l’épreuve que j’ai vécue me pousse à raconter le processus qui m’a permis de reconnaître un savoir oublié.
Treize ans après ma première tentative dans le monde de la peinture à l’huile, les murs de notre maison du Bic sont maintenant garnis de mes tableaux et ils font partie de mon quotidien. Malgré tout, j’ai jeté tous mes premiers tableaux et aujourd’hui encore, j’en jette souvent. Il y a aussi plusieurs tableaux que j’ai recyclés. Parfois cela peut me prendre plusieurs mois pour faire une œuvre.
Je suis passée successivement au travers plusieurs époques en explorant tantôt le figuratif et tantôt l’abstraction. Je suis actuellement dans une expression plus figurative. Au travers ce texte je cherche à savoir pourquoi mon filon se dessine ainsi, une chose est certaine, c’est que je piste des renseignements qui me mettent en contact avec une source qui me passionne et me font avancer sur un chemin de connaissance. Comment pourrais-je décrire le point de départ dans cette quête et faire le lien avec mon travail de thérapeute ? Comment aussi traduire ce générateur nommé par les homéopathes principe vital, dans lequel je puise ? Ce qui ne facilite pas les choses, c’est que ce fondement homéopathique appartient en propre au monde de l’invisible (ce que Jung appelle « l’inconscient collectif »), ce qui fait que je ne suis pas toujours consciente de ce que je vois. J’ai l’impression de me tenir à la limite du regard rationnel et de la transmutation alchimique. Se peut-il qu’il y ait un lien entre l’intuition du peintre et celle de l’homéopathe ? Et aussi, entre la science du visible et les couches profondes de l’expérience humaine qui font partie de sa filiation à la terre? Je choisis de faire la comparaison avec le métier d’homéopathe qui est d’un côté une science médicale et de l’autre un savoir qu’on ne connaît pas encore complètement. J’ai appris à connaître à travers l’homéopathie des milliers de remèdes différents. J’ai développé une mémoire spéciale pour archiver chacun des produits disponibles et m’en faire un portrait. C’est comme cela que je sais que chaque remède appartient en propre à la diversité qu’il y a sur la terre. C’est un monde vaste et pratiquement inépuisable qui nourrit mon imaginaire. Ce que j’apprends dans la science de l’homéopathie sur l’humain autant que sur les matières terrestres (utilisées comme remèdes homéopathiques) instruit et entretient l’intuition du créateur.
Cette exploration me pousse à visiter plusieurs sphères dans la peinture, de l’abstraction (l’ordre invisible) au figuratif. La chose que je sais aujourd’hui, c’est que les trésors qui surgissent d’un savoir façonné entre le conscient et l’inconscient me font peindre. C’est pour cela que ce n’est pas tant le résultat qui compte que par où je suis passée pour l’obtenir.
L’opportunité qui m’est donnée ici de décrire avec des mots ma démarche de recherche au travers l’expression artistique m’aide à trouver un sens à mon projet. Cela me pousse à aller plus loin autant sur mon chemin spirituel, que sur la possibilité de rencontrer l’artiste réflexive qui chemine au fur et à mesure que les mots se placent en écrivant. Mais j’avance dans ce processus de réflexion avec beaucoup d’appréhension, c’est un peu comme si j’avançais dans le noir.
Vision dans la nuit
C’est la pratique de la peinture qui m’apporte une certaine manière de regarder – qui ressemble à ce que j’appelle « la vision dans la nuit » – et me donne la possibilité de faire avec un peu plus de souplesse des allers-retours dans le monde de l’invisible jusqu’à celui des réalités tangibles.
Durant plusieurs années, je peignais des paysages abstraits très sombres, dans les tons de bleu-nuit. Or cette entreprise s’est révélée un jour d’une curieuse façon. J’étais allée rencontrer mon amie et thérapeute C. et elle avait sur son ordinateur un programme sur la cohérence cardiaque, et aussi ce très sensible appareil pouvait nous révéler la couleur dominante dans notre état intérieur. Je pris cette expérience comme un jeu, sur le moment je n’ai pas pensé que cela pouvait révéler quoi que ce soit de moi. J’ai eu un véritable choc quand un bleu presque identique à mes peintures est apparu sur l’écran ! C. a poussé un petit cri de surprise. Elle n’avait jamais vu chez personne une telle couleur. Et j’ai eu peur, je ne sais pas trop de quoi, alors que je connaissais tant de choses sur le monde de la nuit. C’était comme si c’était une partie de moi que je ne voulais pas révéler, qui est apparue sans que je puisse rien y faire. Cela m’a tant bousculée que j’ai arrêté de faire des peintures bleu-nuit pendant un certain temps. Et je n’en ai jamais parlé à personne, comme si j’avais un peu honte de m’être laissée dévoiler dans cette histoire.
Aujourd’hui, je suis consciente que cette aventure révèle une grande partie de ma recherche, c’est peut-être pour cela qu’elle m’a d’abord fait peur et par la suite demandé de me mettre dans un état de silence intérieur, sans mots pour expliquer… De toute façon comment aurais-je pu le faire sans avoir pris le temps de faire les liens nécessaires pour avancer sur un terrain pratiquement inconnu de ma conscience. Mais visiblement il y a quelque chose qui me fascine dans le fait que mes cellules et mon énergie vitale reflètent mon état intérieur. Et surtout que cela puisse se dévoiler autant par le geste de la peinture, que par l’interprétation d’un ordinateur. C’est pour cela que je suis intéressée à suivre la proposition de Danielle Boutet, quand elle dit « (…) beaucoup d’artistes s’intéressent plus à ce que la pratique artistique peut transformer dans leur vie et autour d’eux qu’aux produit finis émergeant de cette pratique ». C’est cette voie que je choisis en racontant mon histoire. Voilà que je comprends mieux maintenant comment le petit écran de mon amie C. fait également partie de mon laboratoire de recherche. Antérieurement, j’avais l’impression que si je commençais à expliquer mes intuitions, cela m’aurait placée dans la situation de mentaliser mes découvertes et de les saborder. En fait, j’avais peur que cela détruise la magie !
Pourtant, ne pourrait-on pas dire que les tableaux sortent tout droit de l’inconscient, comme le monde onirique ? Alors les rêves ne servent pas seulement à connaître notre chemin de guérison, mais serviraient également à recevoir les messages d’une conscience supérieure pour inspirer sa création. « Évidemment, » nous dit Marie-Louise Von Franz, « les rêves de personnes créatrices sont de loin les plus difficiles à comprendre parce qu’ils contiennent ce qu’on pourrait appeler des suggestions ou des propositions préparant la découverte d’idées ou d’inspirations nouvelles et éloignées de ce qui a été connu jusqu’à ici. » (Von Franz, 34) Pour la même raison que pour les rêves, la peinture au travers ses représentations illustre un nouvel ordre qui organise la psyché. Notre connaissance actuelle de l’inconscient montre que celui-ci contient tous les aspects de la nature humaine — en même temps ce qu’elle a de plus beau, jusqu’aux affres de la plus grande laideur. Au travers la reconnaissance par nos contemporains de la nature même de la psyché, il y a une ouverture qui a pu « (…) enfin commencer », nous dit Jung. « Les premiers résultats sont encourageants, et ils semblent annoncer une réponse – attendue jusqu’ici – à bien des problèmes qui se posent à l’humanité d’aujourd’hui. » (Jung, 181)
Chemin de connaissance
Le fait de m’inscrire dans une démarche de recherche me permet de faire le point entre mon travail de thérapeute et mon chemin existentiel d’artiste réflexive. C’est ainsi que je peux dire que j’ai un pied dans le monde de l’art et l’autre dans celui de la thérapie. Les deux pieds servent la même personne, mais n’ont pas la même utilité. L’art peut être une manifestation de l’âme par son travail alchimique, mais pour moi il ne peut pas être comparé à un travail de guérison, car ce n’est pas cet objectif qui nourrit ma recherche. Mon travail d’homéopathe me conduit dans un monde déductif et rigoureux. Cela se traduit par le fait de chercher avec la personne qui vient consulter un chemin de connaissance induisant (le plus souvent avec un remède) à un déverrouillage de sa condition émotionnelle et énergétique. Et une fois cela obtenu, elle peut faire son chemin de guérison par elle-même. L’homéopathie est une clé qui ouvre la porte pour que la source de vie puisse recommencer à circuler.
Mais mon besoin de créer appartient en propre à une soif de connaissance et non à un besoin de guérir quelque chose. Je cherche à voir quelque chose qui est encore invisible. Dans ce processus, il y a d’abord comme un moment de pré-intuition : je porte attention aux sensations émotionnelles, en premier lieu, qui viennent m’instruire qu’un évènement est en train de s’actualiser et prendre forme. Ces sensations sont liées quelques fois à des perceptions physiques. Le déclencheur peut être autant un évènement dans les médias qu’une cause personnelle. Cette sensation prend forme parfois pendant plusieurs mois et m’informe qu’il y a quelque chose qui se passe. Puis cette expérience se traduit en intuition, qui inspire l’écriture, un dessin ou une peinture.
J’apprécie aussi la présence des artistes qui vivent et partagent leurs réalisations avec moi. Dans ma vie personnelle je vis avec deux artistes professionnelles. Elles sont mon support, et au travers de nos partages, je me ressource car elles sont toutes deux des chercheures. Cela m’empêche de voir mes œuvres comme des produits finis. J’ai appris avec elles à voir les tableaux comme les traces d’une quête, témoins d’une exploration.
L’atelier
En premier lieu, l’atelier est l’espace qui m’est réservé dans la maison pour que je puisse peindre librement sans avoir à tout ranger d’une visite à l’autre (que j’appellerai ici l’espace-atelier-maison). Mais d’un autre côté je vis aussi avec un atelier-monde-imaginaire, qui est présent dans toutes ses possibilités transdisciplinaires.
C’est l’atelier-monde-imaginaire qui est en action quotidiennement. Il cherche l’équilibre dans les choses opposées. Il fait le pont entre le corps et l’esprit, il me connecte avec le reste du monde. Il m’accompagne dans les lieux les plus obscurs de ma personnalité et me ramène comme un ange qui me dévoilerait la lumière. Il me permet d’imaginer la peinture avant même qu’elle soit déposée sur une toile, c’est la peinture intérieure qui est vivante des jours et des jours, sans relâche. L’art m’apparaît comme un espace de mémoire universelle, les idées naissent de l’étendue de son monde imaginaire. Je crois qu’il y a un savoir qui appartient en propre à l’art.
Et quand je rentre dans l’espace–atelier-maison, il y a souvent un abîme qui me sépare de mes intentions et de mes attentes par rapport à cette réalité picturale qui va s’incarner, cela rappelle le coyote qui se lance dans une aventure, sans trop oser penser qu’elle pourrait être vraiment dangereuse. Même si j’ai découvert qu’il y a une certaine habileté qui peut apparaître d’un travail régulier dans un atelier de peintre, j’ai souvent des difficultés à y pénétrer. Parfois, j’ouvre la porte de mon atelier et je regarde les toiles inachevées qui ont été laissées là, qui m’attendent et je referme aussitôt celle-ci comme si j’y avais vu un monstre. En plus, pour être franche, mon espace de création ressemble à un grand placard à balais ! C’est un véritable mystère pour moi, qui en général a besoin d’ordre quand je travaille, cela me remplit de sentiments paradoxaux. Parfois, j’ai l’impression de pénétrer dans la caverne d’Ali Baba. Il y a un aspirateur et des piles de vieilles revues. Des vieux chiffons saturés de peintures, des encres, des pinceaux et que sais-je encore…! Quand j’arrive à rester dans ce désordre chaotique qui règne dans mon atelier, tout va bien et je sais que le simple fait de peindre va me permettre de retrouver de l’ordre dans mon esprit. Lorsque j’arrive à m’y installer, je peux passer des heures où je perds totalement la notion du temps. Ces moments sont faits de sensations qui passent du désespoir à quelques fois, rarement je l’avoue, de délicieuses épiphanies ! Lorsque je suis coincée dans l’avancée de mon tableau, j’ai l’impression d’être en prison, seule, il y a une espèce d’agitation incontrôlable qui s’empare de moi. Je n’arrive plus à connecter avec mon atelier-monde-imaginaire. C’est en écrivant ces réflexions sur mon espace de création, que finalement, je me dis que ma présence a sans doute aidé Edmund à peindre. Comment ne pas penser à ces moments magiques du temps où j’étais sagement assise sur mon tabouret, gardant un silence quasi religieux ? Peut-être avait-il besoin d’un regard extérieur sur son processus de création ou juste d’une présence rassurante.
Références :
VON FRANZ, Marie-Louise. Rêves d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Albin Michel, 1992.
JUNG, Carl Gustav. Essai d’exploration de l’inconscient, Paris, Denoël (Folio Essais), 1964.
- On peut voir les tableaux qu’Alleyn faisait pendant cette période sur son site officiel : www.edmundalleyn.com. [↩]