On ne change pas de capitaine en cours de traversée…
Arrêter d’attendre. Le moment propice. Les conditions idéales. Écrire, même fatiguée, revenant de servir au restaurant. Même chez les gens, même dans le bruit. Écrire parce qu’il faut écrire. C’est pour cela que je suis faite. C’est tout. Faire taire les doutes qui paralysent, qui retiennent, qui percluent de rhumatismes. Écrire parce qu’il faut écrire. Il est temps. Il est temps d’obéir à cette injonction suprême, qui n’attend que moi. Qui attend que je m’asseye, n’importe où, dans un café, sur une plage en Gaspésie, en transhumance, partout où je suis et je passe. Qui attend que j’ouvre mon ordinateur et que je commence.
Il s’agit de muscler ma capacité à persévérer. « Persister, demeurer ferme et constant dans un sentiment, une manière d’être ou d’agir, une résolution. » nous dit le Wiktionnaire. Il y a aussi ce livre de Bernard Honoré qui s’intitule Persévérer dans l’existence. L’inspiration, oui ! Mais j’ai besoin de tenir mon fil, mon intention. La porter en moi comme on porte un enfant. Avec patience. Ne pas le perdre, jamais. Que tout ce que je vis vienne nourrir mon projet. De la même manière que mon projet nourrit ma vie. Mon amie Karen dit que persévérer, c’est faire le pas entre l’inspiration et la concrétisation. Telle une funambule, je veux tracer le chemin qui me sépare encore de l’écrivaine.
Depuis que j’ai le projet d’écrire, j’oscille entre des moments de toute-puissance – les moments où je suis inspirée, où tout s’ouvre et me paraît possible – et les moments d’impuissance, où je me relis et me décourage. Je me mets alors à penser que je ne suis pas à la hauteur de ce projet. Trop petite face à l’immensité de la tâche. Jugement, dévalorisation, auto-sabotage. Tous les artistes connaissent cela. Des hauts et des bas. Un pas en avant, un pas en arrière. L’incessante valse de l’hésitation qui retarde plutôt qu’elle ne sert la vie.
Il me semble qu’il est temps de prendre le chemin de la maturité. De quitter l’enfance. C’est drôle, cette expression, « l’enfance de l’art ». Comme si l’art n’était qu’enfantin. Non, devenir artiste, c’est pour moi, m’engager dans le chemin de la maturité. C’est croître. Devenir adulte. Prendre la responsabilité de mon talent. Et faire ce pour quoi je suis faite. Pour que la vie vive.
Il y aura des moments de doute, de découragement, d’impuissance. Penser que cela se fait uniquement dans la grâce est encore un enfantillage. Les épreuves font partie du chemin. Elles me demandent foi et constance, pour rester là, même dans l’inconfort, même dans la peur d’échouer. Elles testent mon courage. Elles exigent l’audace d’y croire. Avec humilité.
Est-ce vraiment cela que tu veux, au plus profond de toi ? De tout ton coeur, de toute ton âme ?
Si oui, il s’agit d’obéir. Ou plutôt de consentir à ma vocation, à cet appel du dedans. Mettre de côté mon ego, ma soif de reconnaissance, mon désir de bien faire, de faire une oeuvre parfaite !
Me taire et travailler. Doucement, lentement. Mais travailler !
C’est quand je m’engage que la grâce peut se donner, au détour d’un mot, d’une phrase. Et c’est alors l’étonnement, la surprise. Je suis dépassée par ce quelque chose plus grand que moi, qui s’offre parce que je ne l’attends plus.
Mystère de la création.
On ne change pas de capitaine en cours de traversée.
À qui, à quoi je voue ma vie ? Suis-je prête à entrer dans le grand sacrifice ? À payer le prix nécessaire de mon talent ? À répondre de lui dans le monde ?
C’est ainsi que j’assume ma responsabilité dans la cité.
C’est un très beau texte, riche en réflexions qui abordent les sentiers / falaises / précipices de la création.
Bonne question, suis-je prêt à tous les sacrifices pour connaître des jours de grande désolation et des jours de grande lumière, partagée – l’on ne sait trop comment – avec d’autres humains. Arrêter d’attendre. Le moment propice.
L’hameçon , par vous est lancé, j’y ai mordu
Merci