Le feu sacré : la pratique in spiritu

Sylvie Cotton

ÉCLAIRAGES EN FONDUS SUR L’ART ET LA SPIRITUALITÉ

Sylvie Cotton est une artiste interdisciplinaire vivant à Montréal, au Québec. Sa recherche, amorcée en 1997, est liée aux pratiques de la performance, de l’art action, du dessin et de l’écriture, bien qu’elle fasse aussi régulièrement appel aux formes installatives pour la réalisation de projets d’exposition. Ses œuvres s’ouvrent sur la création de situations menant à l’instauration d’un rapport avec l’autre ou à une infiltration dans le monde de l’autre.

Principalement, le travail s’inscrit in situ et in spiritu dans des lieux privés ou publics, et les résultats sont présentés dans des galeries et des festivals ou se déploient hors les murs dans d’autres types d’espaces publics (rue, ascenseur, parc ou restaurant, par exemple). L’activité de résidence est également utilisée comme un médium de création performative.

Sylvie Cotton est aussi auteure et commissaire. Elle a organisé des événements, dirigé des publications et a été membre de nombreux groupes de travail et de comités en arts visuels. Elle a présenté ses projets de performance ou d’installation au Québec, aux États-Unis, en Italie, en Allemagne, en Serbie, en Pologne, en Finlande, en Estonie, en Espagne et au Japon.

Elle a contribué cette réflexion sur la pratique qu’elle appelle in spiritu — c’est à dire une pratique où la dimension spirituelle éclaire l’ensemble du travail en atelier, autant la création que l’expérience du faire et de l’œuvre.

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devant l’âtre
Le feu de l’écriture

Une fois de plus, soumettre les intuitions et les expériences au feu du langage. Les mots sont parfois pires que tout ou mieux que rien. Ils ne parlent pas toujours en leur nom. Ils demeurent des signes-miroirs dans lesquels nous projetons, du creux du soi, vues, interprétations, peurs et espoirs. C’est avec ça qu’on écrit et qu’on parle.

Ce texte rassemble des mots choisis et agencés pour parler de la pratique artistique de celle dont on dit que c’est moi. Je ne sais s’ils seront toujours vrais pour aborder ma recherche, mais pour le dire simplement, aujourd’hui, ils se trouvent où je suis. Cette recherche, je la pose comme étant à la fois intérieure et extérieure, spirituelle et artistique. Qu’il soit interne ou externe, l’atelier demeure un lieu intime de pratique et de réflexion (dans les deux sens du terme), un espace par lequel le travail de l’esprit rencontre, par frottement et répétition, celui du corps. Et c’est ainsi que le feu finit par y prendre. L’étymologie du mot atelier renvoie à un tas de morceaux de bois, et par extension, à la boutique de l’artisan. Ce soir, mes idées font les bras qui se penchent pour ramasser les fagots dans le grand champ de la conscience, le grand atelier. Et l’écriture, ah ! la belle créature ! Elle enfourne mes brassées de fagotins et y met de l’air, du souffle et telle une architecte, agence dans l’âtre les rondins à l’espace, la forme au vide. Le feu nécessite structure et attention.

Quand l’attisée crépite, quand le feu murmure ses premières ondes orangées, son travail est engagé. Je sais à ce moment que ce sera un bon feu. Et je sais aussi que lorsque c’est mal parti, on ne peut pas tout reprendre à zéro, sinon on se brûle. Il faut travailler avec ce qui est là. La maïeutique de l’écriture fonctionne de même. Le dessin fonctionne de même. L’installation fonctionne de même. La performance fonctionne de même.

Voilà. C’est parti. J’écris. Il me fallait mentionner leur manière d’advenir en moi pour que les mots se pointent sur la langue de mon esprit. C’est ce que je nomme pratique in spiritu. Ils m’ont maintenant en eux. Faudra en retrancher plusieurs en cours de processus. Mais avant de prétendre au résultat, quand il faudra qu’on pousse, on poussera, quand il faudra renoncer, on renoncera, quand il faudra laisser venir, on laissera venir. Et pour savoir ce qu’il faudra faire et quand, j’aurai le feu à l’oeil et le coeur dedans.

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crépitements
Le feu sacré

M’étendre sur le sujet((M’étendre sur le sujet est le titre d’une de mes expositions, présentée en janvier 2006 à la Galerie Joyce Yahouda à Montréal et qui offrait un foisonnement d’oeuvres, d’objets personnels, de fragments ou de matières d’atelier et d’écriture, et dont la thématique consistait à tracer des liens entre différentes notions liées à la figure de l’artiste et au corps artistique (signature, identité, doutes, influences).)) de ma pratique artistique, voilà ce que ce texte cherche à me faire faire. Il faut que je m’y allonge comme devant son feu, sa nécessité, sa chaleur (pour ne pas dire sa brûlure) pour sentir ce que faire de l’art veut dire. Mais aussi pour tenter de répondre – peut-être – à la question : pourquoi le faire ? Cela dit, ma pratique artistique étant de très près liée à ma pratique spirituelle, laquelle se manifeste par la pratique de la méditation, je ne pourrai m’étendre sur le sujet de l’une sans m’étendre sur le sujet de l’autre.

Pourquoi faire de l’art ? Pourquoi méditer ? Pour nourrir un feu sacré. Pour nourrir le sacré. Et qu’on le veuille ou non, parce que le ça crée. (J’ai aussi été étendue sur le divan de la psychanalyse neuf années durant. Et je me souviens être passée du divan au coussin avec une aisance et un « timing » parfait.) Cela dit, même si tous les artistes ne prétendent pas à une pratique spirituelle, j’en connais peu qui ne traitent pas leur pratique artistique telle une « chose » sacrée justement, un espace sacré, un lieu sacré, ou qui oseraient démentir le respect qu’ils portent à leur propre démarche créatrice. Ce penchant appartient au monde de l’esprit et à une forme de quête, d’engagement, d’effort et de transformation. Pourquoi donc une pratique est-elle sacrée pour l’artiste ? Sa pratique le relie à la vie de son esprit, le garde en lien de communication avec son atelier intérieur. Cet aspect interne de la vie artistique, et qui la fonde, est inaliénable.

En ce sens, il ne faut pas s’étonner de la résonance du sacré avec le thème religieux, puisque c’est par ailleurs la fonction de la religion, son étymologie dit : religere, relier la matière à l’esprit, la forme à la non-forme. La pratique artistique, une forme de spiritualité ? Sans doute. Intuitivement, je poursuis avec l’analogie du feu. Elle semble me faire dire que
c’est l’élément qui, par frottement, relie le spirituel à l’artistique, l’esprit à la création. Selon le dictionnaire que j’ai sous la main en ce moment (je me trouve au Vermont dans un centre spirituel justement), la définition du feu serait « un phénomène consistant en un dégagement de chaleur et de lumière produit par la combustion vive d’un corps ».

Combustion lente

Le corps qui se consume est l’esprit de l’artiste offrant l’énergie et le fruit de sa recherche et qui, lorsqu’il se donne en même temps que son travail, fait effectivement se « dégager une chaleur et une lumière » qui peut aller jusqu’à l’exaltation pour lui/elle et les autres. En art performance, cette chaleur est doublée par le corps physique investi dans l’instant même de la création, qui est une offrande « on the spot », dans l’immédiateté et la simultanéité qui unit émetteur et récepteur.

Mais pour arriver à cette union, à cette chaleur, il est nécessaire de pratiquer encore et encore. Il est nécessaire de répéter bien que sans répétition et avec fraîcheur. Patience. Confiance.

La pratique in spiritu

Comme pour l’engagement sur la voie spirituelle, l’aventure artistique consiste à entrer dans l’atelier intérieur. En fait, on pourrait dire que c’est une vie comme les autres, en ce sens qu’elle consiste à se pencher sur une tâche et à s’y familiariser. Dès lors, qu’est-ce qui la différencie et lui donne une aura magnétisante ? On imagine les artistes libres alors qu’ils ont une grande responsabilité.

En effet, plus j’y retourne et me remets à l’ouvrage, plus je constate que c’est un drôle de métier. On dispose d’un espace-temps pour s’occuper de quelque chose qui ne possède pas encore de forme (et parfois jamais), que personne ne demande à voir sauf d’abord soi (et même pas toujours), qui n’est ni fonctionnel ni nécessaire, mais qu’il est essentiel de faire naître et de voir apparaître devant soi, pour enfin le donner, et le plus souvent, animé
d’une vibration viscérale pas toujours confortable. Cela vient du doute, du dévoilement, mais aussi de l’arrachement à l’atelier. L’extraction et la transplantation demandent en effet un lâcher-prise. C’est très généreux. Pour couronner le tout, l’expérience est le plus souvent traversée et vécue en solo. La grande solitude. Même quand on veut la partager, elle ne se livre que partiellement. Impossible de rendre la texture de la traversée. Et ce qui rend cet étrange cheminement encore plus solitaire, c’est que les autres sont en fait toujours présents, en soi, comme en rêve. Des fantômes d’influences, de supporteurs ou de critiques. Bref, une assemblée de surmoi dont on apprend à s’affranchir – c’est le processus. Cette solitude est profonde parce qu’elle donne le pouvoir de se reconnaître seul et en connexion.

La pratique artistique se développe à travers une attention à ce à quoi l’esprit cherche à donner forme (idées, intentions, expériences), grâce à une vue (orientation, démarche, manière, style). Ensemble, ils manifestent une présence et un corpus de plus en plus raffinés et libres, finalement offerts et parfois exposés.

Pour le dire autrement et pour employer des mots que j’ai déjà écrits ailleurs, l’art consiste à montrer ce que l’on cache. L’art consiste à révéler sa nature humaine. L’art consiste à chercher la justesse et non à intimider les autres. L’art consiste à se laisser raffiner par la vie. L’art consiste à inspirer le monde. Puis à l’expirer. L’art c’est comme l’amour, c’est difficile.

Quant à la voie spirituelle, elle consiste à se laisser distiller par la vie, à entrer en rapport avec son esprit et à s’engager par ce rapport à développer une curiosité intime pour ses propres états intérieurs (surtout ceux qu’on préfère le plus souvent ignorer) et pour les manifestations extérieures que ces états entraînent. Vivre, travailler et composer avec cette matière, comme avec une matière à modeler, et faire de son existence une œuvre d’art. Autrement dit, créer sa vie à partir des matériaux que l’existence nous donne. Aussi, tenter l’aventure en regard du moment présent. Y voir et y établir sa demeure, son refuge. Et pour y arriver, renoncer aux espoirs comme aux peurs. Le défi est grand. Les fruits délicieux, car ils libèrent des attentes et des espoirs.

Les étapes de la voie se déploient à travers une présence attentive et consciente à ce que manifeste l’esprit (émotions, névroses, idées, comportements) et à la façon dont il accueille ces manifestations (méthode, lignée, voie, forme – nommée aussi religion), produisant, progressivement accrue et libre, une présence authentique de manière organique, spontanée, épiphanique.

Bref, la pratique in spiritu, en complément à celle in situ, consiste en un va-et-vient entre l’atelier intérieur et l’atelier extérieur, entre la forme et l’informe, entre le spirituel et le séculier, entre la vie et la vue. Au bout du compte, les voies spirituelles et artistiques fournissent des rencontres incessantes avec les phénomènes, incluant sa propre incarnation comme phénomène.

Fusion

J’assistais récemment à une conférence sur la spiritualité et la sexualité, et j’ai trouvé très intéressant qu’y soit soulevé le désir d’union en tant que trait commun aux deux domaines. Je crois que la pratique artistique partage aussi ce désir d’union. Elle le porte secrètement ou plutôt ne le nomme pas ainsi. Le désir de se rapprocher d’une qualité de vérité intérieure et de la transmettre, le plus souvent, en créant une forme. Et cette forme n’est-elle pas produite en état d’union avec ce qui cherche à apparaître ? C’est exactement ce que je nomme pratique in spiritu.

Dans tous les cas, il semble qu’une dimension supplémentaire trouve grâce par les pratiques : l’union est double. En effet, artiste, amoureuse ou moniale, la personne qui pratique souhaite unir à la fois sa réalisation à la vue de son propre esprit, mais aussi à l’esprit de l’autre. Elle veut rejoindre l’autre, lui transmettre quelque chose. C’est une offrande. Il ne s’agit pas de convaincre, mais bien d’offrir une vue intime, manifestement ou secrètement.

Comme l’a exprimé Alain Fleischer lors d’un récent colloque tenu au Musée d’art contemporain de Montréal sur le thème Art et religion1 : « C’est la vie spirituelle qui permet la vie artistique. » Je crois que le passage peut aussi se présenter à l’inverse : la pratique artistique ouvre la voie de la pratique spirituelle. Menée en pleine conscience, la voie artistique dévoile une sagesse intrinsèque, stimule une prégnance en l’instant présent. Des révélations en apparaissent une à une, doucement. Mais, en définitive, je n’aime pas vraiment faire ces distinctions et comparaisons. Alors, dès maintenant, je cesse de commenter les deux positions – artistique et spirituelle – comme si elles étaient différentes, et je les fonds l’une dans l’autre, là, maintenant. Voilà. Fusionnées. Grâce au feu de l’écriture.

Alchimique.
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embrasement

Étudier son esprit est déjà un acte créateur.

Quand on se tient dans le vent qui circule entre les questions et les réponses que la pratique nous soumet, on est lié à ce qu’on fait. C’est si bon. Et c’est si beau. Et je crois même que la beauté de l’œuvre commence par là – voire même qu’elle en dépend –, c’est-à-dire par la liaison intime entre l’artiste et sa question, laquelle devient son trésor. On est encore dans une dynamique d’union. Une dialectique naturelle à l’être humain chercheur de lumière. L’anagramme ESPRIT-PISTER le démontre de manière amusante : l’un est déjà dans l’autre. La recherche est la raison d’être de l’esprit. On est vivant pour chercher la lumière et absorber ses vitamines existentielles.

S’abreuver aux fraîcheurs fondamentales de la pratique suppose de porter ces questions. Elles sont très simples, car elles sont concrètes et s’impriment dans la vie, pas à pas. Chacune se résume en un mot: Qui, Quoi, Comment, Où, Quand, Pourquoi. Toute pratique repose sur leur fondation. C’est pratique la pratique ! Absolument terre-à-terre. En les transposant dans l’atelier intérieur, j’ai vu comment m’expliquer à moi-même la résonance des raisons d’être de la pratique. Des pratiques. La pratique artistique et la pratique spirituelle. En y répondant par la voie du schéma (une approche semblable à celle de la carte heuristique) on peut trouver une voie, sa voie. La voie de sa pratique.

On naît tous des autres

Qui est là pour pratiquer ? Un soi bardé de peurs et de désirs. Peur de quoi ? De sa propre force et de sa propre faiblesse. Désir de quoi ? D’expression et de reconnaissance. La projection contient à la fois l’héroïque et le peureux. L’expérience oscille entre ces deux états. Qui vit tout cela ? La pratique engage une dimension de recherche sur ce soi qui travaille avec soi toute la journée. Pour y arriver, il paraît essentiel de déposer son esprit dans son esprit, d’être là et de s’accompagner. Présente !

Mais l’esprit est la partie du soi qui a le plus de mal à comprendre la réalité parce qu’il est aux prises avec ses idées fausses car fixées. Pour s’assurer d’entrer réellement en contact avec son esprit, il est incontournable d’entrer en relation avec la partie du soi qui croit tout ce que réfléchit l’esprit et qui veut solidifier son identité ou sa position. Cette vue sur la pratique artistique m’a été transmise par une de mes enseignantes de l’art Shambhala, Tanya Tree : « L’art consiste à entrer en relation avec son ego2. » Autrement dit, il est nécessaire d’entrer en contact avec ses peurs et ses espoirs en envisageant clairement comment l’esprit s’y prend pour diffuser ou masquer l’effet de ces émotions. En fait, on doit absolument s’entraîner à rencontrer les phénomènes intérieurs comme extérieurs si on veut saisir leur qualité d’apparence.

La voie spirituelle est là. La voie artistique également. Cela dit, un artiste peut réaliser des œuvres magnifiques au regard de l’histoire de l’art, sans savoir qu’il a une vie spirituelle, sans la nommer ainsi ou sans en vouloir. Pourtant, plus on s’y intéresse, plus on constate que chaque être élabore une vie spirituelle. Seul son degré d’activité varie. Tout esprit a donc le pouvoir de se montrer intègre et de contrer la confortable ignorance qui le garde loin du déroulement de sa vie. Sa force se tient là : être authentique et s’offrir comme présence authentique. Ce qui a pour résultat de faire fuir l’ego qui n’a plus de raison d’être. Son combat est inutile, voire ridicule. L’esprit ainsi ouvert (et on pourrait dire le cœur ainsi ouvert) amène à prendre parole pour oser révéler ce que l’on apprend sur soi et sur le monde, et qui est toujours et avant tout intérieur, comme un rêve. Cette réalisation reste commune à tous les êtres. En ce sens, on est tous la même personne. Et au final, un même grand esprit chercheur. En conclusion, travaillent au moins trois entités qu’il est important de reconnaître et de connaître: le soi qu’on croit être, celui qu’on ignore (et qu’on est), puis celui qu’on croit qu’on doit être. C’est déjà beaucoup. C’est avec ça que je travaille, avance, tâtonne, cherche, recule et saute.

Mais il y a plus dans une présence à l’œuvre. Il y a les autres. J’appelle ici en exemple le projet que j’ai présenté à la Biennale de Montréal au printemps 2011, sous le titre On naît tous des autres ou Sapience. Le projet consistait à transformer en confettis l’ensemble de mes notes de cours et textes photocopiés étudiés pendant mes études à la maîtrise en muséologie. Le résultat avait pour effet d’unir pour toujours la théorie et la pratique, ma théorie et ma pratique, et de fonder en mon travail toutes les pensées et leurs auteur-e-s comme un geste irréversible célébrant l’union des êtres en la création. Car ils sont toujours là : idoles, émules, collègues, compétiteurs ou complices. Ceux à qui on veut plaire, ceux à qui on veut répondre, historiquement ou non. Ceux avec lesquels on veut partager. Ceux qu’on aime et ceux qu’on craint. Ils sont là dans l’atelier du soi qui cherche à pratiquer la nature de son esprit. À y voir clair. Et pour y voir clair, il ne peut que reconnaître sa propre projection du pouvoir, qu’il accorde à l’illusion de la division. L’altérité est bienfaisante et bienveillante et elle désaltère quand je la laisse me prendre. Au contraire, elle devient obstacle si je la redoute et m’y oppose. C’est ce qu’on appelle le doute sur la voie spirituelle. Et le doute, s’il est passif et écrasant, a pour effet de voler confiance et dignité. Il brouille les perceptions et éteint la lumière. Alors, le  feu s’étouffe. Le résultat est le même en création. S’il n’est pas vu, reconnu, regardé ou interrogé, le doute assassine. Je ne parle pas ici du doute ressenti envers autrui ou envers une forme théiste, mais envers son propre potentiel à s’épanouir dans l’ouverture et à la lumière de son ouvrage.

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quelques braises

Voici des éclats de lumière, tisons et brandons, de ce que la pratique me fait. De quoi cela parle-t-il ? D’intimités de toutes sortes.

L’espace de la pratique

La pratique procure un espace possible de dilatation dans l’atelier du temps, de dissolution dans l’atelier du soi, et de transformation dans l’atelier du coeur. Ce qui revient à dire que quoi qu’il arrive ou se présente à l’esprit ou sur la grande table interne de l’atelier, la pratique l’inspire puis l’expire. Tout est matériau pour la pratique et toute forme peut devenir une forme en transe. Une forme en transition. L’atelier intérieur représente l’espace de la pratique, son coeur et le mien. Exactement. S’y trouve tout ce dont j’ai besoin. Le fait d’y entrer ne garantit pas de succès extérieur mais promet un effet intérieur de réalisation.

S’abandonner à la pratique : perdre connaissance

La pratique nous amène à faire ce qu’on n’a pas appris à l’école. Même à l’École des Beaux-Arts. (En passant, je ne suis pas allée à l’École des Beaux-Arts.) Comment apprendre à faire comme si on n’avait pas appris ce qu’on a appris ? On a besoin de changer de vue. Il s’agit d’être sans connaissance. De la perdre. Et perdre connaissance c’est m’abandonner à l’inconnu en croyant que l’inconnu prendra soin de ma présence. La foi n’est-elle pas tout simplement cette confiance fondamentale en la suite des instants, en la force fantastique de l’existence ? Accepter de passer de l’état de stabilité à celui de recherche pure menant à une déstabilisation, et ce faisant, voir que l’art n’est autre qu’une union entre le possible et l’inconnu, entre le temporel et le sacré. C’est la pratique secrète dans l’atelier intérieur. Aucun autre espace n’est plus vaste ni aucune autre action n’est plus transgressive. Je crois que tous les artistes la connaissent. Chaque artiste croit-il que ce secret est le sien ?

Esprit de corps

Il y a déjà cinq ans de cela, j’ai commencé un autre texte sur l’ensemble notionnel que convoque le corps artistique : signature, comparaison, compétition, pudeur, identité. Maintenant que la pratique m’a fait pratiquer et m’a fait voir que le soi est plus grand que soi, il serait peut-être temps que je le termine. Car se laisser prendre par l’espace qui englobe tout a cet effet merveilleux : on se sent plus petite que soi et plus grande que tout.

La peur de pratiquer

La pratique nous rapproche de la vérité. C’est pourquoi elle nous fait si peur. On a du mal à s’y engager parce qu’on sait qu’elle nous fera perdre nos illusions. C’est sa fonction. Pourtant, l’existence même nous place déjà dans cette situation par le passage obligé de la naissance, de la vieillesse et de la mort. Mais nous ne voyons pas que notre vie est une pratique. Nous la voyons comme la répétition pour une générale qui viendra plus tard. Elle ne viendra pas. Jamais. Le spectacle se joue aujourd’hui. À l’instant. Toujours. La peur de pratiquer la page blanche, l’atelier neuf, le canevas vierge. Tout cela est la peur   du vide, de la vacuité. La peur de ne pas savoir quelle oeuvre on fera, quelle vie on mènera.

La chorégraphie de l’intuition

Autre principe à l’oeuvre dans la pratique : la danse de la recherche intuitive et spontanée. Cela demande de prendre sa place. Vous direz mais chez soi, ce n’est pas sorcier. Dans son propre atelier, c’est sans souci. Faux. Même chez soi, il peut être difficile de céder la place que sa pratique veut prendre. Des signes ? Le corps se soulève et s’oriente sans but. Il devient pure énergie. À une présence consciente, il dira tout de ce que l’esprit est en train de connaître : l’énergie sexuelle, la satisfaction dans le processus, le doute dans la recherche, la rencontre avec le vide, l’exploration entre vacillement et découverte, l’acceptation de l’inconnu souverain.

Sylvie Cotton

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mort du feu

Les flammes ont monté, puissantes, et maintenant presque étouffées, avec moi essoufflée, nous sommes prêtes à devenir fumée. Paraît que les feux deviennent vieux aussi et qu’ils doivent mourir. C’est Bachelard qui en parle dans Psychanalyse du feu. Pourquoi faire de l’art ? Pour apprendre à vivre. Pourquoi méditer ? Pour apprendre à mourir.

C’est l’heure de fermer les ouvertures. De mourir à ce texte et à ses propositions. Le moment est venu de replonger dans un nouveau monde, celui de la page blanche. Mais puisque tout est déjà là et qu’il ne s’agit que de patiemment l’extraire et de le parfumer de ma sueur de chercheure, je suis tranquille. Voilà la pratique : une douce pratique de la présence. À soi. À toi. Dans la grande solitude du vaste ensemble humain.

  1. Alain Fleisher, « Traces du religieux », communication prononcée dans le cadre du Colloque international Max et Iris
    Stern 4 Art + religion au Musée d’art contemporain de Montréal (du 15 au 17 avril 2010). []
  2. L’Art Shambhala est un enseignement du Vénérable Chögyam Trungpa, Rinpoché, (1940-1987), fondateur de Shambhala International, de l’Université Naropa, et figure marquante de la transmission en Occident du bouddhiste tibétain. L’Art Shambhala est une vue et une pratique issues de la méditation et par lesquelles se révèle toute la puissance de l’esprit créatif lorsqu’il engage directement ses perceptions dans le vif du monde phénoménal. []

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