Elle est où, la joie ?

Le texte qui suit a été présenté dans le cadre du colloque L’atelier intérieur, Exploration de lieux de présence, lequel s’est tenu à l’UQAR—Lévis, les 27 et 28 février 2016. L’événement venait conclure mon cheminement de deux ans au sein du Programme court de deuxième cycle en étude de la pratique artistique, une expérience qui m’a permis de réfléchir sur ma pratique, mon mode de recherche en création et ma position en tant qu’artiste en plus de vivre des moments de partage inoubliables.


En effet, mon plongeon dans cette communauté d’âmes réfléchissantes, de chercheures invétérées de vérité et de lumière, m’a fait grandir. Ça m’a aidée à retrouver mon intégrité et une certaine sérénité. Merci, chères collègues artistes, de m’avoir éveillée à d’autres manières de faire, de dire, de voir, ainsi qu’à l’importance de se connaître, de se reconnaître et de contribuer humblement à l’évolution du savoir, du monde et de la vie. Je me souviens encore du premier jour de classe, du premier enseignement reçu de Danielle Boutet lorsqu’elle cita les paroles du pédagogue brésilien Paulo Freire, qui ne pouvaient pas mieux décrire la philosophie du programme que j’allais entreprendre :

Personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde. 

* * *

Avant de vous livrer mon texte synthèse sur ma recherche-création (quinze minutes nous étaient allouées), j’aimerais préciser que je l’ai écrit comme si je m’adressais à une amie avec qui j’entretiendrais une correspondance. Cette approche, plus personnelle, m’a permis de transmettre mon expérience avec une plus grande liberté et intimité.

* * *

CONTEXTE : le retour aux études

Chère amie, tu me demandes des nouvelles de ma pratique. Tu es étonnée d’apprendre que j’étudie à l’UQAR et que je participe à un colloque au cours duquel je présenterai ma recherche-création marquant l’aboutissement d’un projet d’études échelonné sur deux ans. 

Eh bien, laisse-moi te remettre sur la piste en faisant un petit retour en arrière. Lorsque j’ai entrepris ce programme en janvier 2014, je ne savais plus où j’en étais avec ma pratique. Ma dernière exposition solo remontait à plusieurs années, mon travail de pigiste accaparait tout mon temps, et je faisais du surplace à me poser des questions qui ne m’amenaient nulle part. J’étais complètement à côté de mes pompes, comme on dit, déconnectée et pétrifiée par le doute. Je me demandais si j’étais une artiste, si j’étais trop vieille pour continuer, si l’art était vraiment important pour moi, et pourquoi je faisais de l’art. J’avais aussi besoin de dépasser mes peurs, démesurées bien sûr, particulièrement celle de prendre la parole en public.

En somme, ce programme répondait à un besoin d’émancipation et de transformation et, en cours de route, j’ai compris qu’il était temps pour moi de rentrer au bercail et de reconquérir mon espace intime. Je parle ici du no man’s land exposé dans Le roseau révolté, de Nina Berberova, de La chambre à soi, de Virginia Woolf, bref de l’atelier intérieur dont il sera question tout au long du colloque. Il s’agit d’un haut lieu d’observation où se manifeste le non-dit, l’inavouable, et où l’on peut travailler sur soi à se reconstruire et à reconstruire son rapport au monde.

Voilà que tu questionnes magistralement mon titre Elle est où, la joie ? Tu es subjuguée, dis-tu, et désorientée. Tu me demandes ce que la joie vient faire dans mon art.

Puis-je t’avouer qu’au départ c’était pareil pour moi ? Je ne comprenais pas trop pourquoi ce titre me retenait tant, d’autant plus qu’il est censé donner le ton à ma recherche. Mais comme j’avance toujours à l’aveugle quand je crée, je n’ai eu d’autres choix que d’écouter mon intuition et mon ressenti — au risque de me planter !

Intuition et ressenti, voilà deux modes de connaissance importants dans mon processus. C’est ma matière première. Tout ce que je peux te dire pour l’instant, c’est que tu vas finir par comprendre. Accepte seulement d’expérimenter le chaos pendant un moment, et tu t’en réjouiras.

Maintenant, passons à une question fondamentale :

Pourquoi je fais de l’art ?

Je fais de l’art par besoin d’exister autrement que dans la vie ordinaire. Essentiellement, je crée pour être libre. Je veux pouvoir me livrer et me délivrer et ressentir pleinement la présence de la vie en moi. Je n’utilise aucun concept sorcier, sinon ma sensibilité et ma curiosité à l’égard de la nature humaine.

Pour moi, chaque être humain est une planète en soi, une constellation d’énergies sans pareille qui m’interpelle. Il va sans dire que je suis soucieuse de l’autre, mais… quand je parle de l’importance que j’accorde à l’humain, il faut comprendre aussi que, comme je suis le sujet le plus accessible, le plus « traitable », je sers de cobaye. Ainsi, j’observe le « phénomène » que je suis, les mouvements de ma conscience. Et… en admettant que nous sommes tous faits de la même fibre, de la même énergie spirituelle, je considère que ce que je découvre en moi est aussi concevable pour autrui — avec des variables, évidemment. En fin de compte, la complexité et le mystère qui nous relient me fascine. C’est ce qui me préoccupe depuis toujours et c’est à travers l’art que je me rapproche de ma nature véritable. Il se produit une sorte d’alchimie où je me dépouille peu à peu de l’illusoire, du fardeau du mental et des émotions auxquels je m’identifie trop souvent, à tort.

INTENTION DE RECHERCHE

À présent que tu connais mes motivations, passons à mon intention de recherche.

Le projet que je présente au colloque est une quête de plénitude. Il vient d’un questionnement existentiel; à savoir comment l’être humain parvient-il à s’affranchir de ce qui l’entrave, à accepter la vie telle qu’elle est, et à cultiver la joie malgré les épreuves. Voilà mon intention de recherche initiale.

LE PROCESSUS

Trouver une forme pouvant véhiculer un questionnement est comme plonger dans le vide. Et pour alimenter ma recherche, je fais appel à plusieurs outils :

  • je tiens un journal dans lequel j’inscris mes réflexions et découvertes;
  • je me documente en puisant dans plusieurs domaines, dont l’art, la philosophie, la psychologie, la spiritualité et, plus récemment, les neurosciences et le comportement animal;
  • j’élabore des cartes d’idées où j’accumule des mots porteurs de sens, qui me viennent spontanément ou de mes lectures;
  • et, finalement, je dessine de façon improvisée dans l’esprit du Tao.

Aussi, avant de m’investir dans ma pratique, je m’efforce de faire le vide, d’oublier tout. Et lorsque mon esprit enfin apaisé me fait sentir que je suis prête, je me laisse guider par l’énergie qui m’habite. Juste le fait d’entendre le son de mon crayon parcourir le papier m’indique que je suis dans l’état d’esprit recherché… de présence à soi. Dans cet espace, tout devient fluide et le concept du temps disparaît. C’est ce que je voulais dire tout à l’heure par « vivre autrement que dans la vie ordinaire ».

J’ouvre ici une petite parenthèse ici pour souligner mon affinité avec la philosophie taoïste.

Je sais que tu vas trouver cette idée farfelue, mais, vois-tu, iI m’arrive de penser que je n’ai rien à faire pour que l’œuvre se construise. Je n’ai qu’à être attentive à ce qui arrive. Cette conviction m’est venue en expérimentant l’encre de Chine sur du papier japonais. J’ai remarqué que le papier que je plaçais sous le support sur lequel je dessinais, pour absorber l’encre, produisait souvent des dessins plus vivants, bien qu’ils soient l’œuvre du hasard.

Ce constat est à la fois désolant et bouleversant. Tout ce travail pour rien, me diras-tu ? Mais ça n’a rien à voir… C’est une voie de la spontanéité, de la libération, c’est-à-dire de l’action sans attachement. On laisse la nature suivre son cours, sans juger, et les choses s’ordonnent par elles-mêmes, comme dans le cosmos. C’est vraiment ce à quoi j’aspire. Voilà pour la parenthèse.

Comme tu vois, je parle et je parle, et je ne t’ai pas encore présenté mes travaux récents ni expliqué comment tout ça a débuté.

Imagine-toi que je me suis mise à voir des cerveaux partout. Je ne savais pas trop quoi faire avec cette quasi-obsession, si ce n’est que de prendre conscience de mon agitation mentale et de mes absences, parce que trop souvent perdue dans mes pensées à ressasser des histoires qui n’existent pas. Je crois que mon inconscient essayait de me dire à quel point je suis dans ma tête au lieu d’être là, en plein cœur de la vie.

C’est à partir de cette révélation que ma recherche a commencé. J’ai voulu voir de quoi avait l’air un cerveau, comme si en découvrant sa structure, j’allais pouvoir mieux me comprendre. Sur Internet, j’ai trouvé des clichés extraordinairement détaillés. J’ai passé beaucoup de temps à le scruter sous toutes ses facettes et je l’ai dessiné ensuite à l’aveugle et de mémoire (04a-04b).

Au début, toute cette matière grise ne m’attirait guère (on aurait dit de la viande), mais ç’a passé. Un dessin charnière m’a ancrée davantage dans cette recherche et conduite à me concentrer sur mon ressenti.

Voilà que je t’entends déjà me demander comment mon esprit m’a amenée à la métaphore du cerveau. Tout ça s’est construit lentement, inconsciemment. Je vais te montrer des photos de ce qui m’apparaît être les éléments déclencheurs. (Je ne peux malheureusement vous montrer que quelques photos de mes travaux présentés au colloque en raison de questions de lourdeur informatique.)

Par exemple, je me demande si ce n’est pas une plante qui m’a inspirée. J’avais laissé ma plante sécher dans son pot par manque d’espace, puis je l’ai déterrée quelques semaines plus tard, par culpabilité, et suspendue au plafond par le tronc. Les racines me faisaient penser à la forme d’un cerveau avec ses neurones. (06a-06b)

Est-ce que ça pourrait être ces signes et ovales symbolisant l’œuf, la renaissance ?

Ou est-ce que ce dessin insignifiant pourrait marquer le début de tout ? 

Ou encore cette petite boule de pâte à modeler que j’avais laissée traîner sur ma table de travail et qui m’a fait penser à la forme d’un cerveau ?

Ou finalement est-ce cet état contemplatif, cette quiétude que j’ai ressentie très jeune lorsque je me réfugiais dans la forêt, qui me connecte au Grand Tout et à mon être intérieur ? N’est-ce pas un état d’être que je recherche lorsque je crée et qui m’amène à voir autrement ?

Travaux récents

Quoi qu’il en soit, j’aimerais maintenant te montrer mes travaux récents. Ce sont des représentations mentales reflétant l’énergie qui m’habite et le germe d’une forme-pensée. Je tente dans ce travail gestuel de m’abandonner. Ce qui m’importe, c’est d’expérimenter par le mouvement et d’être attentive à ce que la matière me révèle. (08-12)

CONCLUSION  

Mon incursion dans le domaine des neurosciences m’a permis de découvrir des réalités qui coïncident avec mes croyances personnelles, à savoir que nous avons la capacité de nous transformer en devenant plus conscients. Selon le chercheur Mario Beauregard, « nous ne sommes pas des machines biologiques complètement déterminées par notre génétique, nos neurones et notre environnement ». Notre esprit ou conscience a le pouvoir d’influencer notre cerveau, notre perception, et tous les systèmes physiologiques liés à cet organe. Ainsi, plus nous devenons conscients des émotions et des pensées négatives qui polluent notre corps et notre esprit, plus notre pouvoir d’influencer notre bien-être s’accroît. En tant qu’artiste, je suis très touchée par cette avancée et je me demande si la science, l’art et la spiritualité ne sont pas en train de se serrer la main. On verra bien.

Elle est où, la joie ?

Arrivée à la fin de mon parcours, je me dois de respecter ma promesse, celle de t’expliquer le titre de mon exposé, Elle est où, la joie ? En fait, la joie est partout, pourvu qu’on soit pour l’accueillir. Elle est dans ce feu qui brûle en moi et qui se manifeste dans ma pratique, dans ma capacité à me livrer et à me délivrer, dans l’accomplissement de soi, l’engagement, l’ouverture, le détachement, la réflexion, le partage, la contemplation. La joie est innée, c’est notre nature fondamentale. Elle est la vie en soi. Finalement, ma joie en ce moment même est d’avoir vécu cette expérience à l’UQAR et d’en ressortir grandie.

J’envisage déjà d’autres projets, dont un en lien avec les femmes et la domestication, l’intégration d’autres disciplines dans ma pratique et la collaboration avec d’autres artistes. J’aimerais aussi publier des carnets de dessins annotés inspirés du Livre des transformations et concocter un cabinet de curiosités. Voilà, chère amie, ce qui se passe actuellement dans ma vie.

Pour terminer, je lance à la volée l’idée d’une suite à ce programme.

Mille mercis de votre attention !

Monique Lalancette
Artiste en arts visuels
Licence Art libre (http://artlibre.org/)

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Un Commentaire

  1. Merci Monique pour ce témoignage.
    J’ai envoyé un mail afin de communiquer avec vous.
    Je suis peintre également et vis en France. Mes questions du matin par rapport à mon art m’ont indiqué ce site où j’ai trouvé votre message qui me touche car votre expérience ressemble sensiblement à la mienne.

    Peut-être échangerons-nous

    Bien à vous

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