Les chemins qui mènent à l’œuvre
J’ai écrit ces quelques mots pendant le confinement dû au Covid 19, où comme le reste du monde j’ai été confrontée à des questions existentielles comme « Qui suis-je vraiment ? » « Quelle est la place de l’Humain dans la Nature ? » « Où allons-nous ? »
Je suis Valérie Rey, née à Paris en 1965. J’ai vécu toute ma jeunesse à Paris et je sentais que ce type de vie n’était pas adapté à ma personnalité, ni à mes désirs. Vers mes 30 ans, j’ai eu besoin de changer d’horizon pour vivre enfin une VRAIE VIE. Alors avec toute ma petite famille, je suis partie vivre au Costa Rica dans un petit village de bord de mer.
Je devais (comme un devoir) me connecter à la nature, faire du pain à mes enfants et construire notre maison. Là enfin j’ai pu exprimer ma VRAIE nature, celle qui est en moi. Être enfin une femme artiste, authentique et sans faux-semblants. (D’ailleurs depuis, dans chacune de mes œuvres est cachée une apostille marquée MoA.)
LA QUÊTE de LA création intense, originale, authentique, subtile et intègre.
À la manière d’un archéologue je recherche sans cesse l’innocence de l’enfant que j’étais, l’époque où je savais regarder sans juger, m’émerveiller d’un rien, prendre le temps de ne rien faire (maman disait : elle est toujours dans la lune) – comme c’est bon !
Alors, je récolte des preuves, des bribes, des indices de ce qui faisait mon ingénuité, mon innocence d’enfant, sans jugement, sans préjugés, sans honte et sans aucun format.
Ni œuvre, ni art, juste faire « des expériences »… C’est comme ça que j’appelle encore ça aujourd’hui, je joue à faire des expériences. Si je mets ça avec ça, ça fait quoi ?
Je recherche le temps où j’étais pure et libre. Le temps où je n’avais pas le fardeau de l’éducation, le savoir-faire et savoir dire, l’arrogance, le vouloir briller, la chose à prouver, à qui, à quoi ? Et puis toujours la petite voix dans ma tête qui répète : cherche, creuse, c’est en toi, tu l’as encore ! Lâche-toi, sors-le, ce cri qui est blotti au fond de tes entrailles.
Je crois que l’éducation remplace et vide le contenu de ce qui nous faisait authentiques et différents les uns des autres, par un format établi qui est sensé aller à tout le monde – mais trop souvent l’habit est bien trop serré, trop étriqué, trop lourd et on s’y sent mal. Jusqu’à ce qu’on s’adapte au vêtement et pas le contraire. Mais si on entrouvre un peu ce vêtement mal ajusté, alors on comprend bien que cet habit n’est pas à nos mesures.
Bien au contraire, peut-être est-ce ça être un artiste, essayer de résister à cette chape de plomb prête à tout écraser, tout lisser, se conformer à cet habit (si joli soit-il)?
Alors, oui, c’est elle la petite fille que je recherche : la petite moi.
Le temps fait son œuvre
Le chemin qui mène à la solution est ce qu’il y a de plus palpitant, de pister une trace, de tracer une piste, de se perdre et de s’apercevoir que non, ça n’aboutit pas, revenir en arrière, se remettre en question, mais jusqu’à quel point ? Puis étudier une autre voie, d’autres méandres.
Il y a de la douleur là-dedans, du tiraillement, beaucoup de doute, mais en fait, c’est du plaisir.
Consacrer le temps qu’il faut au murissement d’une idée. C’est comme quand on lit un roman, ce n’est pas la chute qui nous intéresse, ce sont les 500 pages entre le début et la fin qui nous tiennent en haleine. Sinon, pourquoi ne pas lire juste le premier et le dernier chapitre? Les délices de l’attente du dénouement. J’aurais aussi pu prendre la métaphore de la naissance à la mort.
Puis eurêka, j’ai l’idée, je la tiens ! L’imagination a fait son job, je vois la pièce, je crois la connaitre. Alors dans l’intimité de mon atelier, je fonce tête baissée : une bille, puis une autre, puis cent autres, puis 1000…
Ça prend du temps, beaucoup de temps, mes mains travaillent, infatigables au labeur, elles savent ce qu’elles doivent faire, elles connaissent les gestes, elles savent quoi faire quand le verre est trop chaud et va couler, elles réagissent au quart de seconde pour redresser, tourner, remettre à la flamme et quand il est temps s’arrêter. Elles sont douées d’une intelligence remarquable.
On a l’impression que ce n’est qu’une répétition, mais en réalité, comme on ne se baigne jamais dans la même eau d’une rivière, chaque bille possède son propre ADN, elles ont chacune leurs qualités et leurs défauts. Elles transportent aussi une partie de moi-même, un peu de mon humeur, de mes doutes et de mes émotions.
C’est comme une prière ou un mantra qu’on psalmodie qui crée cette mélodie et qui m’enveloppe d’une douce mélopée et m’incite à la méditation.
Ensuite vient le moment de poser les feuilles d’or, ce métal jaune, brillant et inaltérable, si convoité durant tant de siècles par l’humanité. Ces feuilles sont tellement fines qu’un souffle suffit à les faire s’envoler. C’est un moment de paix avec moi-même. Autant les billes de verre façonnées par le feu sont vivaces, virevoltantes, autant là, c’est un moment de pure sérénité. Je ne respire plus, je suis dans un moment suspendu, puis mon pinceau caresse la feuille avec la délicatesse du duvet d’un oisillon.
La Naissance ou la chose accomplie
Alors vient le moment de l’assemblage – je ne fais pas de coup à blanc, ni d’essai pour voir comment ça va sortir. Ce sera la surprise… ça y est, c’est l’heure : Félicitations ! C’est une fille Madame, elle pèse 3 kg, elle a les yeux de son père et les fossettes de sa mère. (Oui, c’est toujours une fille 🙂 )
Halcyon days (le calme après la tempête)
Et là, quand enfin c’est fait, je suis surprise… ça bouge, c’est vivant, j’aime !
Je suis contente, c’est beau et le beau fait du bien, mais d’un autre côté le film est terminé… Il faut tout recommencer, encore cette délicieuse quête douloureuse et si nécessaire à mon état mental. J’espère avoir le privilège de ne jamais trouver le Graal et de continuer ma quête indéfiniment.
C’est juste magnifique, tant la pièce (les oeuvres) que le récit, tant la touche personnelle que le monde décrit et représenté (la biodiversité), tant l’être et la pensée que la société (l’éducation), tant le Moi dans sa recherche et son expression.
Bravo et merci
Très touchée par ta démarche, Valérie. L’écoute de soi, le retour à l’innocence, l’importance de laisser les choses arriver et tes oeuvres magnifiques.